La liste noire européenne ne ressemble à aucune liste de courses. Elle n’obéit ni au bon sens ni à la simple logique comptable. Certains territoires, pourtant régulièrement épinglés pour leur fiscalité accommodante, y échappent, tandis que d’autres s’y retrouvent sans surprise. Ce jeu d’ombres et de lumières façonne bien plus que des classements : il oriente, silencieusement, le visage de la fiscalité mondiale.
Impossible de réduire la question à un simple inventaire : le statut officiel d’un territoire façonne directement les règles du jeu pour les entreprises et influe sur la manière dont les flux financiers sont surveillés. Lorsqu’un pays n’est pas reconnu officiellement comme paradis fiscal par la France, cela modifie les contraintes de déclaration, la vigilance des contrôles et, in fine, la stratégie des groupes internationaux.
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Paradis fiscal : comprendre la notion et les critères de reconnaissance
Mettre une étiquette de paradis fiscal n’est jamais une évidence. Selon l’OCDE, plusieurs critères permettent d’établir le portrait-robot du territoire accommodant : coopération internationale faible, secret bancaire encore vivace, taux d’imposition des sociétés frôlant le néant, dispositifs conçus pour brouiller les pistes et favoriser l’évasion fiscale ou la fraude fiscale. Ce sont des outils de concurrence sur la carte du globe.
Aucun consensus, pourtant, derrière ce terme. Certaines ONG, comme la Tax Justice Network avec son Corporate Tax Haven Index, ou Oxfam, rivalisent d’indices et de listes pour pointer ceux qui font de la fiscalité un jeu d’initiés. Le GAFI cible les réseaux de blanchiment de capitaux. Les nouvelles normes, telle la pression exercée pour imposer l’échange automatique d’informations fiscales, cherchent à garantir plus de transparence et limiter les pratiques d’opacité sur les fonds et les structures.
Pour lever le voile sur les différents angles d’analyse, on peut regrouper trois grands critères utilisés pour reconnaître un paradis fiscal :
- Transparence fiscale : identification réelle des bénéficiaires, ouverture réelle à la coopération internationale.
- Pratiques fiscales dommageables : fiscalité légère, absence de véritable substance économique, régimes spéciaux taillés sur mesure.
- Alignement sur les standards internationaux : engagement à appliquer les mesures anti-BEPS, refus de la fuite vers l’opacité.
Le Luxembourg ou l’Irlande, par exemple, brillent parfois tout en haut d’indices critiques des ONG mais échappent toujours à l’affichage officiel. Ce qui confirme une chose : aucun classement ne fait loi universelle, ni à l’OCDE, ni au sein des États, ni parmi les associations.
Quels pays figurent sur la liste noire de l’Union Européenne en 2024 ?
La liste noire européenne, révélée deux fois par an, ne sert pas que d’outil technique. C’est aussi un instrument diplomatique puissant, destiné à inciter bon nombre de territoires à plus de clarté. En 2024, douze juridictions fraient encore sur cette liste, souvent pour leurs méthodes très peu regardantes sur la fiscalité ou la traçabilité des avoirs.
La distinction européenne s’organise autour de deux annexes : la liste noire cible ceux qui campent sur leurs positions, et la liste grise recense les États promettant des efforts, mais qui n’en donnent pas encore la preuve. Voici la liste noire telle qu’elle se présente en 2024 :
- Samoa américaines
- Anguilla
- Fidji
- Guam
- Palaos
- Panama
- Russie
- Samoa
- Trinité-et-Tobago
- Îles Vierges américaines
- Vanuatu
- Antigua-et-Barbuda (présence fluctuante selon les périodes)
Ces territoires sont affichés comme non coopératifs. Leur présence se justifie par le refus de l’échange automatique d’informations fiscales, l’absence d’engagement sur les réformes anti-BEPS ou le maintien de régimes particulièrement opaques. Un point à noter : plusieurs États de l’Union européenne, dont les pratiques sont régulièrement dénoncées par les ONG pour leur fiscalité d’entreprise très clémente, ne se voient jamais cités sur cette liste.
Conséquences économiques et enjeux pour la France et l’UE
Pour la France et l’ensemble de l’Union, le phénomène de l’évasion fiscale pèse lourd. Selon l’économiste Gabriel Zucman, l’ardoise annuelle se situerait entre 27 et 100 milliards d’euros pour la seule France. Un montant qui prive directement les politiques publiques, des hôpitaux jusqu’à l’école, mais aussi les investissements nécessaires à la transition écologique.
Groupes mondiaux et contribuables fortunés exploitent chaque interstice réglementaire offert par certains paradis fiscaux. Par des chaînes de sociétés ou le déplacement artificiel des bénéfices, l’impôt sur les sociétés leur échappe, tout en restant dans les limites de la légalité. Face à ces stratégies, l’Union européenne multiplie les listes pour viser les pays et territoires non coopératifs. Or, la profusion de référentiels, OCDE par ici, Tax Justice Network ou Oxfam par là, complexifie le paysage et fait naître des angles morts. Certains territoires constamment dénoncés par la société civile restent invisibles côté institutions. Résultat : plus personne ne s’y retrouve et l’idée même de justice fiscale s’effrite.
L’évasion fiscale ne se contente pas de déséquilibrer les finances. Elle nourrit les inégalités, abîme la confiance citoyenne et prive tous les pays, émergents ou riches, de moyens pour agir à long terme. Même à mesure que la lutte s’intensifie, les montages d’optimisation gagnent en complexité, emmenant la frontière entre surveillé et non vu encore plus loin.
Lutte contre l’évasion fiscale : quelles actions concrètes et où s’informer ?
La lutte contre l’évasion fiscale mobilise une multitude d’acteurs aux approches complémentaires. L’OCDE pilote le projet BEPS, une réponse collective pour réduire l’érosion de la base d’imposition et les transferts de bénéfices inventifs. Les signatures d’accords ouvrent la voie à la transparence, à la chasse aux montages, à des lois anti-abus plus robustes.
Le GAFI, de son côté, gère ses propres listes : l’une pour les juridictions à haut risque, l’autre pour celles sous surveillance rapprochée, notamment en matière de blanchiment et de lutte contre le financement du terrorisme. Être ciblé implique différentes mesures : restrictions sur les financements internationaux, contrôles renforcés, pressions pour changer la législation.
Les initiatives européennes s’alignent et complètent ce cadre :
- La mise à jour continue de la liste noire et de la liste grise pour identifier les pays et territoires non coopératifs
- L’application, par les États membres, de sanctions financières ou de retraits d’avantages fiscaux selon le statut du territoire visé
L’accès à l’information reste un enjeu fondamental. Scandales et enquêtes, de Panama Papers à LuxLeaks ou OpenLux, ont révélé au grand public l’étendue de l’imagination déployée pour échapper à l’œil des régulateurs. Pour suivre l’évolution des listes, les annonces officielles côtoient les analyses pointues des ONG, qui gardent un œil critique sur l’application réelle du principe de justice fiscale.
À la frontière mouvante de la fiscalité mondiale, la course entre règles et échappatoires ne s’arrête jamais. Reste à savoir jusqu’où la défiance vis-à-vis des paradis fiscaux poussera les gouvernements à innover pour contrer la créativité sans fin de ces territoires.